Notre regard sur ... Supply chain
La Turquie saura-t-elle profiter de la réorganisation des chaînes de valeur mondiales à la suite de la pandémie ?
La Turquie entend mettre en avant sa gestion de la crise et son positionnement dans les chaînes de valeur mondiales, compétitif et proche de l’UE, pour tirer parti de la nécessaire diversification des fournisseurs internationaux et d’une tendance au near-shoring. Ses avantages comparatifs, qui ont consolidé sa base industrielle, persistent et pourront être davantage valorisés dans le monde de l’après-pandémie, à condition de relever certains défis.
Une participation accrue de la Turquie aux chaînes de valeur mondiales favorisée par ses avantages comparatifs pouvant faire la différence dans le monde post covid-19
La Turquie s’est progressivement intégrée dans les chaînes de valeur mondiales, bénéficiant notamment de l’Union douanière avec l’Union européenne (1995), en témoigne la croissance de 13% de son indice de participation entre 2000 et 2017. Cette dynamique s’accompagne d’une montée en gamme de sa production (39% de production de moyenne-haute technologie, soit 12 points de plus qu’en 1995) et d’une diversification croissante de ses exportations (35 catégories de produits exportés à plus d’1 Md EUR et 1er pays de la zone BERD en avantages comparatifs révélés), tout en s’appuyant sur ses secteurs clés comme le textile, l’automobile et les métaux.
Ses divers avantages comparatifs lui sont favorables en cette période de crise pandémique. En effet, sa bonne localisation géographique (zone d’1,6 milliard d’habitants à 4h de vol) et son réseau logistique performant réduisent les risques de rupture de la chaîne et les coûts de transport. Les exportateurs turcs bénéficient également de 20 accords de libre-échange au potentiel conséquent (1 milliard de consommateurs) et d’une dépréciation importante de la monnaie locale. De surcroît, la flexibilité et la réactivité de l’industrie turque se sont de nouveau confirmées durant la crise sanitaire avec une capacité d’adaptation à l’évolution des besoins domestiques et extérieurs (fabrication de masques et de produits hygiéniques). Enfin, la main d’œuvre locale est bien qualifiée, jeune (âge médian de 32,3 ans en 2019), endurante (44,4h de travail hebdomadaire) et son coût horaire en devises étrangères reste compétitif.
Un tissu industriel turc qui nécessite quelques réajustements dans un contexte de réorganisation des chaînes de valeur mondiales
La Turquie reste principalement positionnée dans les étapes intermédiaires des chaînes de valeurs mondiales (Global Value Chains / GVC position index proche de zéro depuis le début des années 2010 – calculs UNCTAD/EORA), différentes de celles en amont (R&D) ou en aval (SAV, marketing) à plus forte valeur ajoutée. Son besoin en R&D, conception, intrants (textile exclus), hydrocarbures (1er poste d’importation en 2019, 20,3% des importations totales) et produits technologiques (2,3% de ses exportations en 2018) se confirme avec un taux croissant de valeur ajoutée étrangère dans ses exportations (16,5% contre 11,2% en 1995). A l’heure actuelle, les étapes de production réalisées localement représentent en moyenne 20% de la valeur du produit final, hormis certains secteurs distinctifs comme la construction automobile (56% de la valeur finale) ou les métaux (53%).
En outre, de nouveaux investissements sont nécessaires pour développer davantage l’innovation et les équipements de production, particulièrement utilisés en cette période (79,2% pour la sidérurgie en septembre 2020, 73% pour l’automobile et 74,5% pour le textile). Par ailleurs, l’intégration croissante de la Turquie dans les chaînes de valeur mondiales est également liée à ses relations commerciales avec l’UE, qui représente 41% des échanges commerciaux turcs et 48,5% de ses débouchés.
De réelles opportunités pour la Turquie dans les chaînes de valeur mondiales post-pandémie, à condition de relever certains défis
La Turquie pourrait récupérer entre 10 et 16 Mds USD d’exportations chinoises (données estimées par le cabinet de conseil américain Kearney), en investissant à un plus haut degré en R&D, en formation et dans les nouvelles technologies.
Sa proximité géographique avec ses principaux clients pourra être avantageuse dans le monde post-pandémique. Contrairement à l’industrie chinoise, la production turque a notamment pu tirer profit de dates d’interruption et de reprise similaires à celles de ses clients durant la crise sanitaire.
Le textile turc, déjà positionné comme fournisseur de réapprovisionnement de l’UE (Union douanière, proximité géographique, standards de production et normes socio-environnementales similaires), semble pouvoir être le principal secteur bénéficiaire d’une réorganisation des chaînes de valeur. Ses relations de longue durée avec les acheteurs européens, la flexibilité et la rapidité de sa production (ressources locales en matières premières comme le coton) en sont ses principaux atouts. Des investissements en équipements et en innovation, ainsi que l’avènement de marques nationales pourraient également aller dans ce sens.
Les autres secteurs clés turcs (automobile et sidérurgie) ont l’opportunité d’accroître leur valeur ajoutée via une intégration plus en amont dans les chaînes de valeur mondiales.
La Turquie se trouve en bonne position pour tirer parti de la réorganisation des chaînes de valeurs mondiales dans un mouvement de diversification et de rapprochement des approvisionnements, même si l’ensemble des équilibres commerciaux ne devrait pas être largement remis en cause.
Source : Service Economique de l’Ambassade de France