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LES RDV DE L’ÉCO – "Istanbul est-elle prête à faire face au potentiel séisme ?"

Interview réalisée dans le cadre d’une collaboration www.lepetitjournal.com/Istanbul - Chambre de Commerce Française en Turquie (CCFT) née en octobre 2009. Tous les mois, un portrait d’entreprise ou d’entrepreneur est publié sur les deux supports que sont www.lepetitjournal.com/istanbul et www.ccift.com et dans la newsletter mensuelle de la CCFT, "Les Nouvelles de la Chambre".

 

Yusuf Zahit Gündoğdu est à la tête de Miyamoto International Turkey, depuis l’implantation de cette société américaine à Istanbul, en 2008. L’entreprise propose une expertise et des solutions dans le domaine de la construction parasismique.

 

Lepetitjournal.com d’Istanbul : Pouvez-vous nous parler de votre parcours ? Quels sont les différents postes que vous avez occupés ?

Yusuf Zahit Gündoğdu (photo SP): Diplômé d’un master en ingénierie structurale, à l’université du Bosphore, en 1988, j’ai ensuite travaillé pendant huit ans comme coordinateur de projet dans de grandes compagnies de construction telles que Yapı Merkezi, ENKA et TEKFEN. En 1992, je suis allé au Japon et j’y ai travaillé pendant sept ans comme expatrié, au poste d’ingénieur de conception structurale dans les entreprises japonaises Fuji engineers, Chodai et IHI Corporation. Après mon retour en Turquie en 1999, j’ai pris la tête de Fuji Engineering à Istanbul puis la tête de Miyamoto International Turkey en 2008. Depuis, je gère ces deux positions.

 

Vous êtes donc actuellement président de Miyamoto International Turkey. Pouvez-vous nous décrire cette société ?

Miyamoto International a été fondée à Sacramento, en Californie, aux Etats-Unis, en 1946. C’est une entreprise qui délivre des services partout dans le monde, avec des sociétés aux Etats-Unis, en Europe et en Asie. Miyamoto International est spécialisé dans les solutions de génie parasismique de hautes performances. Nous travaillons avec des clients gouvernementaux, des entreprises privées ou encore des architectes et des sociétés de construction qui désirent des solutions efficaces. Nous avons des expériences spécifiques sur le design parasismique et un haut niveau d’expertise, puisque Miyamoto International est implanté dans des zones sismiques comme la Californie, le Japon et la Turquie.

 

Qu’est-ce qui a été fait en Turquie depuis le tremblement de terre d’Izmit, en 1999, qui a tué 17.480 personnes ?

Selon le rapport préparé par l'Agence japonaise de coopération internationale (JICA) en 2002, près de 350.000 bâtiments à Istanbul étaient à risque. Au cours des quinze dernières années, beaucoup de choses ont été faites mais il reste du travail à faire. Je peux citer en particulier le projet d'atténuation des risques sismiques d'Istanbul (İSMEP), qui est régi par l'Unité de coordination du projet d'Istanbul et qui a été créé en 2006 par le gouvernement et la municipalité d’Istanbul. Il s’agit du premier projet permettant d’atténuer les risques du tremblement de terre potentiel à Istanbul, avec des études sur ce qu'il faut faire avant, pendant et après l’événement sismique. Ce projet est aussi la raison pour laquelle Miyamoto International s’est implanté en Turquie en 2007 en tant que consultant auprès de la Banque mondiale, qui est le principal financeur du projet. Depuis 2016, dans le cadre du projet İSMEP, 1.175 bâtiments publics, 944 écoles, 74 hôpitaux et centres médicaux ont été modernisés ou reconstruits. En parallèle, la direction générale des autoroutes a modernisé les installations essentielles de transport. En plus de cela, en 2009, le Parlement turc a formé l'Autorité de gestion des catastrophes et de gestion des situations d'urgence (AFAD) et a aboli diverses agences.

Les tremblements de terre dans l'est de la Turquie, dans la province de Van, le 23 octobre et le 9 novembre 2011, ont causé des dégâts dévastateurs et ont fait 644 morts et 1.966 blessés. 252 personnes ont été sauvées vivantes des débris. Je pense que la réponse rapide de l'AFAD à ces deux tremblements de terre a prouvé sa capacité. Sur la base des leçons tirées des tremblements de terre de Van, le ministère de la Santé a publié une nouvelle législation en 2013 pour construire de nouveaux hôpitaux avec une capacité minimum de 100 lits et situés dans les zones sismiques à risque de premier et deuxième degrés.

Actuellement, il y a toujours 200 projets hospitaliers en cours qui seront achevés d’ici à 2023. Je pense que la précaution la plus importante est le début de la transformation urbaine, qui offre l’occasion de se débarrasser des nombreux bâtiments à risque. Mais le début du processus a pris beaucoup de temps à cause de la complexité de la législation locale.

 

Que reste-t-il à faire ? Quelles sont vos stratégies ?

Le gouvernement et les entreprises du secteur privé ont encore beaucoup de choses à faire. Le gouvernement devrait continuer à améliorer la législation existante qui met certes l'accent sur le niveau de performance pour la sécurité humaine, mais pas pour la durabilité des entreprises et la continuité de leurs activités post-séisme. Le ministère de l'Environnement et de l'Urbanisation a entrepris une enquête pour mettre en place un groupe de travail au sein du ministère pour l'approbation de projets importants tels que les immeubles de grande hauteur et des systèmes d’isolation sismique. Nous leur avons présenté des exemples de législation appliquée dans les pays à risque sismique élevé, tels que les États-Unis et le Japon. Nous avons également recommandé l'application de certification du statut d'ingénieur professionnel qui a été longuement discuté en Turquie. Cette certification garantit les installations essentielles, y compris les immeubles de grande hauteur et des systèmes d’isolation sismique, conçus par des ingénieurs structurels suffisamment compétents et expérimentés.

L'une de nos stratégies consiste à sensibiliser les entreprises du secteur privé sur les risques d’arrêt de leur activité après un épisode sismique. Sur la base de notre expertise mondiale, nous savons que la gestion d’un séisme sans interruption d'activité est possible pour une entreprise, cela en utilisant des technologies de modernisation novatrices.

Miyamoto International est un membre fondateur du Conseil de résilience des Etats-Unis (USRC), une entreprise de premier plan pour la réalisation d’infrastructures pouvant résister aux tremblements de terre et autres catastrophes naturelles.  Basé sur l’expérience de cette organisation et compte tenu du développement rapide des bâtiments de grande hauteur dans les zones à risques sismiques, Miyamoto International Turkey fournit une assistance importante aux clients sensibles à notre entreprise.

 

Malgré une communication rassurante des autorités, de nombreux spécialistes s’entendent pour dire qu’Istanbul n’est pas prête à faire face à ce tremblement de terre… Qu’en pensez-vous ?

Je suis d’accord. Si le programme de transformation urbaine avait pu être lancé il y a dix ans, le processus de transition pourrait être achevé aujourd’hui. Comme dans d’autres pays à fort risque sismique, le gouvernement doit émettre des règlements recommandant au secteur privé de moderniser ses installations existantes, pour la sécurité et la protection de la vie humaine ainsi que pour la continuité des activités en cas de tremblement de terre.

La plupart des systèmes d'intervention en cas d'urgence après un potentiel tremblement de terre devraient être remplacés car bien qu’ils soient compatibles avec la législation existante, ils ne sont pas assez performants pour permettre la continuité des activités après un séisme. Sur la base de notre expérience en Turquie depuis 2008, nous observons aussi que les entreprises du secteur privé sous-estiment les précautions à prendre auprès des éléments non structuraux. Le rapport FEMA (Federal Emergency Management Agency) des États-Unis explique que 50% des blessures et 3% des pertes proviennent d'éléments non structuraux dans les installations. Ces chiffres correspondent aux conséquences du tremblement de terre en Turquie de 1999, également selon le rapport publié en 2004 par l'Institut de recherche sur le tremblement de terre de l’université du Bosphore, à Istanbul.

 

Les nouveaux bâtiments doivent résister à un séisme de magnitude 7,5 de l'échelle de Richter. Malheureusement, en Turquie, beaucoup de nouvelles constructions sont encore bâties illégalement. Qu'en est-il de cette situation?

Ce problème majeur est lié à l'absence de législation détaillée. Ces lacunes peuvent être résumées par un manque d'inspection par un tiers, un permis de construction inapproprié et une inspection incorrecte du site. Tous ces problèmes illégaux pourraient être résolus par l'application de règlements bien conçus.

 

À Istanbul, l’un des gros problèmes est aussi la croissance exponentielle: la ville compte officiellement 15 millions d'habitants et nous devons même ajouter quelques millions pour être exacts ... Comment résoudre cela?

Je pense que l'immigration de la population peut être contrôlée, comme c’est le cas à Tokyo. À Tokyo, si les transports en commun ne sont pas disponibles dans une certaine zone, la municipalité n'est pas autorisée à délivrer un permis de construire dans cette zone concernée.

 

Les experts s’entendent pour dire qu’il y aura un tremblement de terre dans quelques années, mais l’estimation du temps reste encore vague et incertaine. Quelles sont les prévisions de Miyamoto International Turkey ?

Selon l’analyse "Earthquake Master Plan" datant de 2003, la probabilité d'un tremblement de terre massif à Istanbul dans les trente prochaines années est estimée à plus de 62%. Selon l'étude de GeoHazards International, Istanbul est l'une des trois premières villes du monde, qui a le plus grand risque de gros tremblement de terre avec de lourdes conséquences. Nous pensons que l'estimation de trente ans est encore fiable jusqu'à ce qu'une autre enquête approfondie soit menée à bien. Nous avons également des outils de recherche et d’analyses pour évaluer les pertes et les niveaux de dégâts pour les stocks de construction. Cependant, la technologie existante ne permet pas d'identifier clairement la date de l'événement sismique.

 

Où se situent les risques en Turquie et, par conséquent, sur quoi se concentre votre activité ?

La plupart des installations du secteur privé sont vulnérables au risque de non-durabilité post-séisme. A la tête d’une entreprise, les décideurs qui valident les plans de construction des infrastructures sont nombreux à considérer que leur performance en matière de sécurité face au risque sismique est suffisante car la législation n’en demande pas davantage. Mais en réalité, la législation n’est pas à jour et laisse au propriétaire la responsabilité de la continuité des activités de l’entreprise après un séisme. Notre activité se concentre donc sur la sensibilisation auprès des entreprises du secteur privé.

 

 

Propos recueillis par Eric Taver et Solène Permanne (www.lepetitjournal.com/istanbul) – 27 avril 2017

 

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